Dans son dernier numéro, Énergies Syndicales revenait sur le black-out de la péninsule ibérique du 28 avril, durant lequel l’Espagne et le Portugal furent paralysés et 60 millions de personnes privées d’électricité. Les causes de cet accident industriel ne sont pas encore établies, mais de forts soupçons se portent sur la déstabilisation du réseau électrique induite par les apports massifs d’éolien et de solaire, nécessairement intermittents. La France est-elle aussi menacée ?

Selon les données de RTE, l’éolien et le solaire en France ont représenté respectivement 8,7 % et 4,6 % de la production nationale d’électricité en 2024. Au maximum, la production combinée de l’éolien et du solaire, en part instantanée maximale, a représenté 41 % de la production française en 2024. La forte croissance des énergies renouvelables programmée par la troisième Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) qui couvre la décennie 2025-2035 va conduire à des périodes où solaire et éolien assureront une forte couverture de la demande d’électricité : entre un quart et un tiers du volume annuel de production en 2035 selon RTE.

Une conséquence mécanique de ce poids croissant des énergies renouvelables sera un manque d’inertie et donc une forte instabilité du système électrique. De plus, l’accroissement des interconnexions couplé au développement massif et simultané des énergies renouvelables dans les pays européens voisins conduira à une augmentation des risques en matière de sûreté d’alimentation.

Une étude du cabinet DEGEST, réalisée pour le CSEC d’EDF, a cherché à quantifier cette menace. Quel que soit le scénario retenu, en 2030, la production éolienne et solaire dépassera 60 % de la production électrique française durant près de 500 heures par an, et jusqu’à 800 heures avec les conditions météorologiques de 2020. Rappelons que le black-out espagnol s’est produit lorsque la part de production éolienne et solaire était à 67 % de la production totale. En 2035, les 60 % seront dépassés durant 1500 heures par an et les 80 % durant des centaines d’heures.

Le système électrique français entre dans une zone à risque.

La dernière panne géante d’électricité en France remonte au 19 décembre 1978. Pour couvrir la demande d’électricité en période de grand froid, la France importait du courant depuis l’Allemagne. À 8 h 05, une surtension se produit sur une ligne à 400 000 volts, qui disjoncte. L’électricité allemande continue d’arriver et se retrouve sur les lignes du réseau secondaire, qui disjonctent à tour de rôle. La quasi-totalité du pays connaît un black-out qui dure quatre heures.

Que faire face à la menace d’un nouveau black-out ? Si on veut éviter des écrêtements massifs de production éolienne et solaire (qui seraient des gaspillages d’un point de vue économique), il faudra donc ajouter de l’inertie au système électrique. Les centrales thermiques joueront un rôle crucial en la matière. Elles peuvent être utilisées pour fournir de la stabilité pour le réglage de la tension en période de forte production renouvelable et faible consommation. C’est là un usage complémentaire à celui d’apport de puissance pilotable lors des pointes de consommation résiduelle, correspondant à la situation symétrique de faible production renouvelable et forte consommation.

Quelques jours précédents le black-out ibérique, EDF a transmis une proposition à la Commission européenne visant à entamer une réflexion autour d’une rétribution financière pour l’inertie qu’offrent les centrales thermiques, nucléaires et hydroélectriques françaises.  EDF proposait de trouver un ou des « régimes de rémunération pour maintenir l’inertie ». Le débat sur la manière d’apporter de l’inertie au système électrique européen, lancé par l’analyse des conséquences du black-out espagnol du 28 avril 2025, ne fait que commencer.

Nicolas Chevassus