On ne présente plus René Gaudy. Depuis la publication en 1978 de Et la lumière fut nationalisée en 1978, magistrale histoire de la nationalisation de 1946 qui fait toujours référence, puis de Les Porteurs d’énergie, histoire de la FNME-CGT qui a depuis été rééditée et actualisée (la dernière édition est au Temps des Cerises, 2008), il est, avec Stéphane Sirot, l’historien le plus au fait du monde des électriciens et gaziers. C’est dire si son livre Énergéticiens d’Île-de-France, qui l’a occupé pendant sept ans était attendu.

La plaisanterie est fréquente : que signifie donc le sigle SPPTE-RP ? On en découvre l’origine et les fondements à lire René Gaudy. Ce Syndicat du personnel de la production et du transport d’énergie de la région parisienne, donc, naît en 1956, en pleine croissance économique du pays. En pleine guerre d’Algérie, aussi. Il est l’héritier du syndicat des personnels des industries des industries énergétiques de la région parisienne, constitué à la suite des nationalisations de la Libération qui ont unifié les salariés à travers le statut unique. Se rattachent à ce syndicat les salariés des centrales thermiques, de la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) et ceux du Traitement industriel des résidus urbains (TIRU). Ce large périmètre syndical correspond à celui de l’unique Caisse d’action sociale (CAS) – qui gère notamment les prestations maladie – pour l’ensemble des salariés franciliens d’EDF et de GDF. Mais les luttes des années 1950 autour des activités sociales des électriciens et gaziers, que les employeurs confisquent aux salariés, avec la complicité du gouvernement, lors du coup de force de 1951, entraînent l’éclatement de la CAS unique en quatorze entités. Le syndicalisme se doit d’y répondre, pour rester au plus près du personnel. C’est ainsi que le SPPTE-RP voit le jour, lors de son congrès fondateur de 1956. Très vite, le nouveau syndicat s’investit dans le combat pour la paix en Algérie, le soutien aux ouvriers algériens, nombreux à la TIRU, puis la lutte contre les factieux de l’Organisation armée secrète (OAS).

Dans les années 1980, le puissant syndicat – plus de 2 000 adhérents, ce qui en fait le plus gros de la fédération – fait face à un nouvel enjeu : intégrer en son sein les salariés des nouvelles centrales nucléaires de Dampierre, Saint-Laurent, Belleville et Nogent qui viennent rejoindre les douze centrales à flamme. « Des jeunes arrivent. Ils réclament une place. Parallèlement, les centrales classiques sont toujours en activité, mais elles sont vieillissantes. Faut-il les fermer ? Comme on a fermé les usines à gaz quand le gaz naturel est arrivé. Oui, disent certains. Non, répondent d’autres. Le charbon a un avenir. Il faut investir dans la recherche pour un charbon propre » raconte René Gaudy, qui ne tait rien des très rudes débats au sein du syndicat tout au long de son histoire, y compris la plus récente. L’offensive libérale commence à marquer des points. La TIRU et la CPCU sont privatisées mais les luttes du syndicat parviennent à maintenir les salariés au statut des IEG. S’ensuit en 1998 un redimensionnement douloureux du syndicat, qui voit les adhérents des centrales nucléaires et du transport le quitter.

Une troisième période s’ouvre avec le nouveau millénaire. Les luttes ouvrières, souvent dramatiques, se poursuivent ; un accident à la TIRU cause quatre morts en 2000. L’action syndicale permettra la condamnation de la CPCU par le tribunal correctionnel treize ans plus tard. Entre temps, les centrales thermiques, qui étaient des bastions du syndicat, ferment les unes après les autres. Surtout, la privatisation de fait d’EDF et GDF, signant la fin du service public de l’énergie tel qu’il avait été conçu par Marcel Paul, éclate les collectifs de travail en scindant les entreprises. Le périmètre du syndicat se réduit. Le SPPTE-RP se montre en pointe, au sein de la FNME-CGT, pour contester un certain accompagnement par la direction fédérale menée par Denis Cohen de la libéralisation du secteur de l’énergie.

Parcourir l’histoire du SPPTE-RP est donc parcourir l’histoire des industries énergétiques de l’Île-de-France. Le livre souligne à quel point la région a perdu, au cours de ces années, son autonomie énergétique. C’est aussi parcourir l’histoire des politiques industrielles, du temps des centrales au fuel ou au charbon (Porcheville et Vitry, les dernières en activité, ferment dans les années 2000) à celui du nucléaire et du mix énergétique actuel, accordant une large place aux renouvelables. C’est encore parcourir l’histoire de la solidarité internationale, valeur essentielle du syndicat, à travers ses jumelages avec l’URSS, le Viêt-Nam ou Cuba. C’est enfin parcourir l’histoire de la FNME-CGT, tant nombre de ses futurs dirigeants sont passés par ce syndicat. Citons, par ordre alphabétique et en nous excusant par avance auprès des camarades qui ne seront pas mentionnés : Pierre Delplanque, premier secrétaire général du SPPTE-RP, futur secrétaire général adjoint de la fédération ; François Duteil, qui adhère au syndicat à la centrale de Saint-Ouen en 1965 et deviendra secrétaire général de la fédération ; Julien Lambert, secrétaire fédéral à la politique industrielle ; ou encore Claude Pommery, actuel président de la CCAS.

Mais loin de n’évoquer que les dirigeants, le livre accorde toute la place qui leur est due à des militants moins connus qui racontent, s’expriment dans des propos très fidèlement retranscrits. « Cette histoire a été écrite au plus près de chaque site, de chaque section syndicale. J’ai consulté des archives, quand j’en ai trouvé. J’ai interrogé les militants. Je leur donne la parole. D’où une série de portraits. Ce sont les femmes et les hommes qui font l’histoire. Les militants en sont l’accélérateur quand l’histoire avance, le frein quand elle va dans le mur » explique René Gaudy. L’historien a rencontré une soixantaine de militants, dont quinze femmes. « D’abord très minoritaires, elles ont su, par leur courage, s’imposer dans ce milieu masculin, parfois macho » relève-t-il. Ces superbes témoignages intéresseront tous les camarades qui ont, à un moment ou un autre de leur vie militante, croisé ces collègues. Les photos de luttes et d’actions, mais aussi du quotidien du travail, sont superbement mises en valeur par la maquette aérée et élégante de Johanne Goll qui donne de la vie, de la couleur et de la légèreté à un sujet grave. Enfin, le livre propose en annexe la liste des responsables élus lors des 24 congrès du syndicat.

Le SPPTE-RP compte aujourd’hui autour de 400 adhérents au sein des usines de production d’électricité, de vapeur et d’incinération d’Île-de-France, ainsi que du personnel du transport lourd. Ces effectifs stables depuis une quinzaine d’années. Toute histoire n’a de sens que par rapport à un avenir. « Retour dans le giron du service public, indépendance énergétique de l’Île-de-France. Tels sont, pour les prochaines années, les deux grands chantiers du syndicat. Dirigé depuis juin 2023 par une femme, Nadia Lahouazi. Une première dans l’histoire du syndicat », conclut René Gaudy.

Nicolas Chevassus

A commander
auprès de l’IHSME :
« Énergéticiens
d’Île-de-France »
de René Gaudy,
Institut d’Histoire Sociale
Mines-Énergie (IHSME),
septembre 2024,
400 p., 30 euros