Secrétaire général de la FNME-CGT, Sébastien Menesplier est aussi depuis le congrès de Clermont-Ferrand en mars 2023 secrétaire confédéral en charge de l’environnement. Il s’explique ici sur la nouvelle approche des questions environnementales par la CGT, sur fond d’intensification de la crise écologique globale.

Pourquoi la CGT organise-t-elle le 28 mai des États généraux de l’industrie et de l’environnement ?

Sébastien Menesplier : La CGT s’est toujours préoccupée des enjeux environnementaux, même si ce n’est pas ce qui était mis en avant à certaines époques. Mais dans les luttes sociales que nous avons menées, les enjeux environnementaux étaient présents. L’idée aujourd’hui est que la CGT, à travers ces États généraux, lance un travail conséquent dans toutes ses organisations sur la situation environnementale catastrophique, causée par le système capitaliste tel qu’il est organisé. L’organisation du travail actuel ne permet ni de protéger les salariés, ni de protéger l’environnement. Il faut changer la donne ! La CGT est une organisation syndicale qui veut transformer la société : et bien on est en plein dedans, avec les questions environnementales. Nous avons besoin d’anticiper les dangers de demain, pour nous préparer à y faire face en proposant un autre avenir pour le monde du travail et la société en général.

Pourquoi cet intérêt renouvelé de la CGT pour les enjeux environnementaux ?

S. M. : Ce qui nous a fait prendre ce virage, c’est certes la décision du 53e congrès de Clermont-Ferrand de la CGT de se retirer du collectif « Plus jamais ça », mais aussi la prise de conscience des syndiqués et de leurs syndicats de l’extrême dégradation de la situation mondiale, avec un système libéral qui ne permet plus de vivre décemment. Ces États généraux du 28 mai seront un point d’étape qui nous permettra de lancer ce travail à mener dans les professions et les territoires, pour anticiper en construisant les projets de demain. Oui, il faut le reconnaître, le système industriel tel qu’il a été pensé ne prenait pas en compte l’environnement. Même si on a énormément délocalisé et que la France a perdu sa souveraineté industrielle, je ne suis pas convaincu que l’industrie telle qu’elle existait protégeait l’environnement et les salariés. C’est pourquoi je ne suis pas du tout adepte d’un retour au monde d’hier, qui a permis de relever le pays après les guerres et de développer l’emploi, mais pas de préserver la planète. On doit aujourd’hui concilier les deux : être force de proposition pour des projets industriels, mais qui prennent en compte les enjeux environnementaux. Les militants syndicaux doivent être armés pour cela, ce qui passe par des journées d’étude, et la formation des militants qui leur permettra d’intervenir dans les instances de représentation du personnel – même si elles manquent de moyens – dans les entreprises sur ces enjeux au niveau nécessaire.

Pourquoi cette date du 28 mai ?

S. M. : Il s’agit de proposer à la veille des élections européennes un projet que nous soumettrons aux futurs députés européens – sauf ceux du RN – pour les convaincre que ces questions doivent être abordées au niveau européen. Nous interpellerons aussi les élus de la Nation à tous les niveaux pour se demander ce que l’on peut produire en France demain, ce que l’on veut faire revenir, sur ce que l’on peut développer. D’autres moments nationaux, venant après les États généraux, aideront à définir ces propositions sur l’énergie, l’eau, la mobilité, l’industrie du médicament et du matériel médical, l’agro-alimentaire, tous ces domaines où la France a perdu sa souveraineté. Sur toutes ces questions, la CGT doit pouvoir parler d’une seule et même voix. Des outils existent déjà au sein de la CGT, notamment le radar environnemental (https://radartravailenvironnement.fr/) qu’a développé notre UGICT-CGT : une démarche en quatre étapes – état des lieux, propositions, stratégie, action – adaptable à chaque entreprise, notamment par les élus en CSE que nous avons décidés de confédéraliser. L’UGICT a mené ce travail avec le collectif de jeunes diplômés « Pour un réveil écologiste ». Pour nous, il n’est plus envisageable de traiter les enjeux environnementaux sans se préoccuper des enjeux sociaux. Si demain, on améliore les conditions de travail de manière significative, on aura forcément agi pour l’environnement.

Relocaliser, réindustrialise : ce sont aujourd’hui des idées à peu près consensuelles. Qu’y ajoute la CGT ?

S. M. : La CGT y ajoute du concret, en portant avec les salariés des projets dans l’énergie (comme à Gardanne ou Cordemais), l’industrie ferroviaire (Valdunes) ou la papeterie (Chapelle-Darblay). Oui, le gouvernement annonce depuis cinq ans son intention de relocaliser et réindustrialiser. Mais dans la réalité, on voit toujours des industries qui ferment et on n’en voit très peu qui s’ouvrent. De plus, l’argent public est toujours distribué sans considération pour le respect par les entreprises des critères environnementaux ou sociaux. C’est pourquoi je ne pense pas que le gouvernement œuvre aujourd’hui concrètement pour relocaliser et réindustrialiser.

A propos d’anticipation, le Shift project, autour de Jean-Marc Jancovici, propose un plan global de transformation de l’économie française pour l’adapter à la crise écologique, dont une dimension importante est une forme de décroissance économique. Qu’en penses-tu ?

S. M. : Je veux d’abord souligner que la France reste le numéro un mondial des dividendes versés aux entreprises, et que les inégalités ne cessent de progresser. Pour moi, quand le Shift project parle de réduire la voilure économique, il parle surtout de l’urgence d’une redistribution des richesses existantes en prenant aux plus riches. La CGT est évidemment d’accord avec cela. Après cela, le Shift project réfléchit surtout dans une perspective environnementale, axée sur le réchauffement climatique, et moins dans une perspective sociale. Le propre de la CGT est de vouloir s’attaquer aux deux bouts, sociaux et environnementaux, du problème. Je ne suis pas un adepte des coups de balancier entre les deux. Il y a aujourd’hui des filières industrielles qui sont menacées à cause de tels coups de balancier.

À quoi penses-tu ?

S. M. : Par exemple à la filière des moteurs thermiques. La France a décidé d’arrêter d’en produire sur le territoire national, après avoir longtemps encouragé cette industrie. Mais ces coups de balancier font mal, ils déstabilisent les salariés et fragilisent l’outil de production. On nous affirme aujourd’hui que l’avenir de la mobilité face au réchauffement climatique est entièrement électrique. Mais la réflexion a-t-elle été suffisamment poussée ? On analyse qu’un côté du problème. Quid des déchets ? C’est le même problème qu’avec les énergies renouvelables, pour lesquelles la gestion des déchets n’a pas été pensée, ou alors à travers leur délocalisation vers les pays du sud. Quid du coût, pour les industriels comme pour les consommateurs ? Est-on vraiment convaincu que ce modèle électrique peut s’inscrire durablement dans l’avenir ?  Pourquoi délaisse-t-on la recherche et les investissements sur des moteurs thermiques polluant beaucoup moins ? Et plus généralement, pense-t-on vraiment que l’on se passera un jour totalement des hydrocarbures ? Comme combustible pour les transports ou comme matière première dans l’industrie chimique ? C’est à ce niveau qu’il faut pousser la réflexion.