Pour un chimiste, la question a tout de la boutade. L’hydrogène est un gaz incolore. Pourtant, il est souvent question en matière d’énergie d’hydrogène gris, vert ou blanc. Ces expressions imagées désignent trois modes de production de l’hydrogène, de maturité industrielle inégale, mais au potentiel considérable.

Avant même l’actuelle transition énergétique, l’hydrogène était utilisé dans différentes opérations de chimie lourde, notamment pour la désulfuration des hydrocarbures dans les raffineries. L’hydrogène utilisé était produit par un procédé dit de vaporeformage, qui consiste à chauffer à très haute température un hydrocarbure. On obtient ainsi un hydrogène dit noir (produit à partir de charbon) ou le plus souvent gris (à partir de gaz naturel). Ces procédés sont parfaitement au point, mais présentent le double inconvénient de nécessiter des hydrocarbures comme matière première et d’être des gouffres énergétiques du fait des hautes températures nécessaires au vaporeformage.

De l’avis général, cette technique ne pourra donc être utilisée pour fournir les quantités massives d’hydrogène que réclame la transition énergétique. La demande de ce gaz, dont la combustion n’émet aucun gaz à effet de serre, explose en effet pour trois usages : la décarbonation des transports, en particulier les plus lourds (camions, bus, trains, bateaux à hydrogène) ; le remplacement du gaz naturel dans certaines industries lourdes, comme la sidérurgie, la verrerie ou la cimenterie ; et enfin le stockage d’énergie, en particulier issu des panneaux photovoltaïques dont les pics de production ont la fâcheuse tendance à survenir au moment des creux de consommation.

Pour répondre à ces nouveaux usages, une technique ancienne a été modernisée : celle de l’électrolyse de l’eau. Contrairement au vaporeformage, elle ne nécessite ni hydrocarbure comme matière première, ni hautes températures. C’est ce qui lui vaut son nom d’hydrogène vert. Cependant, sa vraie couleur dépend du mix énergétique du pays. L’hydrogène n’est réellement vert que si l’électricité utilisée dans le procédé provient d’un barrage, d’une centrale nucléaire ou d’une installation d’énergies renouvelables. La France, avec son mix électrique très décarboné, est bien placée pour devenir un « leader mondial de l’hydrogène vert », comme l’avait affirmé en 2021, le ministre de l’Économie Bruno Lemaire. Depuis, les projets de site de production d’hydrogène vert fleurissent un peu partout, mais leur production reste encore négligeable par rapport à celle des sites utilisant le vaporeformage

L’hydrogène blanc est le dernier-né de ce camaïeu. Également qualifié d’hydrogène natif, il est présent dans les couches géologiques profondes, exactement comme le gaz naturel. Si l’on parvenait à l’extraire, il offrirait une source d’hydrogène presque totalement décarbonée. L’effervescence autour de l’hydrogène blanc, à peu près inconnu sauf sous forme de curiosité géologique il y a encore trois ans, est perceptible un peu partout dans le monde. Un premier puits a été creusé au Nebraska (États-Unis) en avril, une trentaine d’autres le sont en Australie, et la prospection bat son plein partout dans le monde. La France n’est pas en reste, avec l’identification par des chercheurs du CNRS d’un vaste réservoir d’hydrogène blanc, un des plus grands au monde, dans le sous-sol de l’ex-bassin minier lorrain. Mais une incertitude continue à peser dans cette ruée sur l’hydrogène blanc : quel sera le coût de l’extraction de la précieuse ressource ? Et, à partir de quelle concentration, souvent de seulement quelques pourcents dans le sous-sol, sera-t-elle rentable ? Au rythme actuel, frénétique, de prospection, ces questions devraient trouver une réponse d’ici à deux ou trois ans. S’il s’avérait que l’hydrogène blanc peut être extrait du sous-sol à des coûts économiquement compétitifs, la géopolitique mondiale de l’énergie serait bouleversée.

Nicolas Chevassus