Nombre de nouveaux retraités découvrent la décote au moment de leur départ en retraite. Cette minoration de la pension de base vient aggraver les pensions incomplètes depuis la réforme dite Balladur de 1993. Nous revenons sur les rouages de cette mécanique infernale…

Pour prétendre partir à la retraite, il faut déjà atteindre l’âge légal. C’était 62 ans révolus hier et avec la réforme scélérate imposée par le gouvernement Macron cela va progressivement s’allonger jusqu’à 64 ans. Rappelons qu’aucun vote de l’Assemblée nationale n’a validé ce projet auquel s’oppose toujours une très grande majorité de la population.

Mais une fois cet âge légal de départ enfin atteint, pour ensuite prétendre à toucher une retraite à taux plein, il faut aussi avoir cotisé le nombre d’années exigées : c’étaient 42 ans par le passé et cela va aussi s’allonger pour passer à 43 années !

Et si vous avez l’âge légal, mais pas les années de cotisation exigées : vous serez doublement pénalisés !

Déjà, dans ce cas, le montant de votre retraite sera proportionnel au nombre d’années effectuées par rapport au nombre d’années exigées de la retraite à taux plein. Mais vous serez aussi pénalisés une seconde fois par la décote, qui amputera de 5 % par année manquante votre retraite incomplète. Cette décote peut aller jusqu’à -25 % (-1/4), sachant que pour l’annuler, il faut partir en retraite à 67 ans.

Un cas concret pour mieux comprendre cette mécanique infernale

Prenons l’exemple d’un jeune cadre, diplômé Bac+5, entré en emploi à l’âge de 23 ans.

Pour bénéficier d’une retraite à taux plein, il devra désormais cotiser 43 années et partir à 66 ans (sous réserve que sa carrière ait été sans interruption). Mais s’il part à l’âge légal de 64 ans, donc après 41 années de cotisations, sa pension sera incomplète et vaudra 41/43ᵉ du taux plein (elle sera amputée d’environ 4,7 %), auxquels s’appliqueront 10 % en moins de décotes pour les deux années manquantes.

Sur une base de 2 000 euros pour une retraite à taux plein, cela représentera : 2 000 € * (41/43) * (100 – 10 %) = 1 716 € soit 284 € de confisqués sur les 2 000 € du taux plein (-14,2 %) pour seulement deux années manquantes !

La décote : une double peine pour repousser l’âge de départ en retraite !

Cette nouvelle réforme régressive 2023, qui recule l’âge de départ et augmente les années nécessaires pour une retraite à taux plein, maintient la décote qui pénalise fortement toutes et tous les salariés, et particulièrement celles et ceux qui ont des carrières hachées, mais aussi les femmes, les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise qui ont fait des études longues !

En allongeant, encore une fois, l’âge de départ à 64 ans et la durée de cotisation à 43 années, le nombre de salariés qui partiront avec une pension amputée va mécaniquement augmenter. Notons toutefois que, comme l’âge légal est relevé à 64 ans, et que l’annulation de la décote reste à 67 ans, à terme, la décote maximale sera plafonnée à 15 % (car, à terme, 3 années maximum pourront manquer quand l’âge légal sera atteint). Mais dans les années à venir, ce sont encore des milliers de salariés qui resteront pénalisés par une très forte décote, alors que travailler jusqu’à 67 ans pour y échapper restera une perspective irréaliste pour bien des seniors usés, en inaptitude, en fin de carrière difficile ou au chômage.

Une baisse structurelle des pensions pour pousser vers la capitalisation

Cette réforme 2023 repousse l’accès au taux plein au-delà de ce que beaucoup peuvent supporter, et elle ignore toutes les pénibilités physiques et mentales (stress, fatigue chronique, astreintes, burn-out, santé mentale fragilisée, charge managériale…).

Travailler jusqu’à 67 ans relève donc de l’impossible pour nombre de personnes. Les femmes se retrouvent pourtant souvent dans cette situation qui est loin d’être marginale. Elles sont plus exposées aux carrières incomplètes (congés parentaux, temps partiels…) et sont particulièrement touchées par la décote.

Déjà, avant la réforme 2023, 20 % des femmes devaient attendre 67 ans pour partir sans décote, contre 10 % des hommes. Cet écart risque encore de s’aggraver avec des périodes de chômage ou de précarité de plus en plus fréquentes dans la vie professionnelle, et qui aggravent également le risque de décote.

Sans possibilité de valider toutes leurs années, de nombreux salariés partent donc avec des pensions réduites.  Et ce piège de la décote s’inscrit dans une tendance plus large de baisse généralisée des pensions. Le taux de remplacement – c’est-à-dire la part que représente votre pension par rapport à votre dernier salaire – ne cesse de diminuer. Pour preuve, en 1980, un cadre partait avec 72 % de son salaire. En 2024, c’est 51,4 % en moyenne… et demain, ce sera encore moins !

Pour compenser cette baisse des pensions, de plus en plus de salariés sont séduits par l’épargne individuelle, comme les plans d’épargne retraite (PER). Mais ces dispositifs sont très inégalitaires, risqués et opaques, car ils dépendent de l’épargne que chacun est en mesure de placer, et surtout, ils sont à la merci des marchés financiers qui peuvent monter… mais aussi s’effondrer du jour au lendemain. Ce système par capitalisation n’apporte donc aucune garantie et contribue à affaiblir le système par répartition : une logique que la CGT rejette, car cela met en danger la solidarité intergénérationnelle au profit d’un modèle individualiste, où chacun doit se débrouiller tout seul… selon ses moyens.

La CGT propose des alternatives crédibles et solidaires

Abroger la réforme de 2023 (avec un retour à 60 ans pour un départ à la retraite à taux plein), garantir un taux de remplacement à 75 % pour une carrière complète, exiger l’égalité salariale femmes/hommes, reconnaitre toutes les pénibilités (pour permettre des départs anticipés), prendre  en compte des années d’études dans le calcul des annuités (jusqu’à 7 ans selon le diplôme), exiger un financement solidaire (taxer les revenus financiers, lutter contre la fraude, augmenter modérément les cotisations patronales)… toutes ces pistes avancées par la CGT sont progressistes et réalistes : elles démontrent que les ressources existent pour maintenir et améliorer notre modèle par répartition. Il suffit juste d’aller chercher le financement nécessaire !

Parce que travailler jusqu’à l’usure n’est pas un projet de société, parce que la retraite est une conquête sociale et non une variable d’ajustement, parce que personne ne devrait être pénalisé (par son parcours professionnel, son sexe, pour avoir étudié…), il faut continuer à nous mobiliser, « tous ensemble », massivement, contre cette réforme injuste, et tout en revendiquant un meilleur système de retraite pour demain. Jean-Paul Rignac