
La COP29, qui s’est tenue en novembre dernier à Bakou en Azerbaïdjan, s’est conclue sur des résultats jugés décevants, notamment pour le monde du travail
Les décisions prises n’ont pas suffisamment répondu aux besoins urgents en matière de financement climatique et de transition juste, laissant d’importantes lacunes dans la gestion de la crise climatique et de ses impacts sociaux.

Raphaël Tillie, représentant de la CGT au sein de la Confédération syndicale internationale (CSI), revient sur cette conférence internationale.
Quel bilan tirez-vous de la COP 29 à Bakou, notamment en ce qui concerne les engagements pris pour garantir une transition écologique juste et socialement équitable ?
Raphaël Tillie : Malheureusement, à Bakou, la CGT a vu que ni le Nord mondial ni le Sud mondial ne donnaient la priorité à la mise en œuvre de la décision du Programme de travail sur la transition juste (JTWP pour l’acronyme anglais couramment utilisé) de la COP28. Les travailleurs et leurs demandes légitimes de transition juste ont été pris en otage par des tactiques de négociation cyniques des deux groupes.
Premièrement, le Nord mondial a refusé de mettre un chiffre crédible du financement du climat sur la table jusqu’au tout dernier jour de la COP. Deuxièmement, le G77 et la Chine ont bloqué les progrès de la mise en œuvre du JTWP, l’utilisant comme levier pour faire pression sur la discussion du Processus du Nouvel Objectif Chiffré Collectif (NCQG en anglais) afin d’augmenter le financement climatique. À ce cocktail vicieux s’est ajouté l’absence de conseils, d’intérêt ou de stratégie de la part de la présidence de la COP29 pour assurer une transition juste. La présidence a même choisi de ne pas avoir de « journée de transition juste », préférant parler du capital humain et du développement humain, qui exclut les droits du travail. En raison des tactiques de négociation des pays développés et en développement à la COP, il n’y a eu aucun progrès dans la mise en œuvre du JTWP.
En outre, le refus continu des gouvernements de comprendre et de mettre en œuvre le concept de droits fondamentaux du travail, auquel tous sont liés en raison d’accord à l’Organisation internationale du travail (OIT), rend très difficiles les progrès en matière de transition juste à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC en anglais). Cela comprend la distinction fondamentale entre le dialogue social (qui se déroule dans un contexte tripartite avec les syndicats, les employeurs et les gouvernements) et la consultation des parties prenantes (avec tous les groupes concernés) ; c’est une distinction cruciale pour le mouvement ouvrier qui continue d’échapper aux négociateurs sur le climat.
La CGT ne peut qu’exprimer sa colère face au manque d’ambition des pays développés pour lutter efficacement contre les changements climatiques. La CGT constate que cette 29ᵉ conférence se termine sans avancées ni engagements concrets pour les travailleurs.
La COP 29 a-t-elle, selon vous, suffisamment pris en compte l’impact des mesures climatiques sur les travailleurs et les emplois, et quelles revendications spécifiques la CGT a-t-elle portées pendant les discussions ?
R. T. : Le mouvement syndical mondial avait de grands espoirs que Bakou s’appuie sur la décision de la COP28 à Dubaï sur le programme de travail de transition juste (JTWP). Après de vives discussions à Dubaï sur la portée du programme de travail, les gouvernements se sont mis en place sur une liste complète qui comprend à la fois les dimensions de la coopération internationale et du financement du climat, ainsi qu’un accent sur le travail tel que défini dans l’Accord de Paris, qui parle de travail décent et d’emplois de qualité. Pour la toute première fois dans les négociations internationales sur le climat, les « droits du travail » ont été explicitement mentionnés, chose importante pour le mouvement syndical mondial. Le mouvement ouvrier considère que les deux dimensions sont intrinsèquement liées : vous ne pouvez pas avoir une transition juste dans le Sud sans le droit au développement, à l’éradication de la pauvreté, à l’industrialisation et au commerce international équitable, qui doivent tous être soutenus par un financement climatique approprié et sous contrôle public dans sa majorité. En même temps, une transition juste signifie protéger les travailleurs, assurer leurs droits et leurs moyens de subsistance, et garantir à leurs organisations représentatives une place à la table pour mettre en œuvre des plans négociés et élaborés avec les syndicats, du local au national.
Organisations syndicales non gouvernementales (TUNGO), l’un des 9 groupes observateurs aux COP, la CGT s’est impliquée dans la communication de ses revendications, confirmant ainsi l’importance du rôle des syndicats dans la lutte contre les changements climatiques. Il est temps d’agir avec détermination pour assurer un avenir durable et équitable pour tous et toutes.
Pensez-vous que les engagements pris à la COP 29 à Bakou concernant la transition énergétique permettent de concilier la lutte contre le réchauffement climatique et la garantie d’un accès universel à une énergie abordable pour tous les travailleurs et citoyens ?
R. T. : Le résultat de Bakou a été lamentable : le flou entourant la trajectoire mondiale d’une énergie décarbonée, un accord faible sur le transfert des technologies propres et aucun engagement significatif sur les brevets et la formation des salariés dans les transformations ambitieuses de l’industrie. C’est une énorme déception pour le mouvement ouvrier. Dans d’autres décisions, nous avons également constaté que les travailleurs ont été délibérément exclus des textes. Ce n’est pas un accident. Les travailleurs se voient constamment refuser leur voix dans l’élaboration des conversations qui les affectent directement, tant dans le cadre de l’ONU que dans des processus décisionnels plus larges, car ils ne sont pas consultés ou inclus structurellement. De nombreux pays ne parviennent pas à inclure des spécialistes dans leurs équipes de négociations qui peuvent aborder l’impact de la crise climatique et des politiques climatiques sur les travailleurs. En outre, il existe un manque presque total de connaissances des principes directeurs de l’OIT pour une transition juste, qui font partie des engagements climatiques que les pays ont signés à la Conférence Internationale du Travail de 2015, notamment le respect et la mise en œuvre des droits fondamentaux du travail. En conséquence, des occasions critiques sont manquées pour tenir compte de l’impact sur le travail et reconnaître le rôle essentiel des travailleurs organisés et de leurs syndicats dans la création de politiques climatiques ambitieuses et équitables.
Cette COP29 a sapé l’équité et la transparence du processus de négociation lui-même en mettant de côté les personnes les plus touchées et en érodant la confiance dans le système même destiné à assurer la justice. À l’approche de la date limite critique pour les NDC 3.0, les efforts syndicaux seront axés sur la responsabilité des gouvernements pour mener à bien les mesures ambitieuses et axées sur les travailleurs que la crise climatique exige à la fois dans les dernières étapes précédant la date limite et lors de la COP30 à Belém. Toutes les parties doivent comprendre qu’il ne peut y avoir d’action climatique efficace sans protéger les travailleurs actuels et futurs.
Quelles actions concrètes attendez-vous des gouvernements et des entreprises à la suite des décisions de la COP29, et comment la CGT envisage-t-elle de maintenir la pression pour qu’elles soient mises en œuvre efficacement ?
R. T. : Le mouvement syndical mondial s’attend à ce que la présidence brésilienne entrante de la COP30 mette ces questions au clair. Des progrès sont nécessaires de toute urgence sur toutes les dimensions de la transition juste.
Nous devons intensifier le financement de la transition (du Nord vers le Sud, autant qu’au sein du Nord), en mettant à contribution le capital et les grandes fortunes, et la mise en œuvre de politiques axées sur le travail et la communauté. La réunion intersession de juin 2025 à Bonn est la première étape importante. Le troisième dialogue du JTWP peut porter sur la question importante de l’adaptation, mais il devrait être axé sur la mise en œuvre et les résultats. À Bonn, une décision sur la simple transition doit être préparée qui peut atterrir à la COP30.
Il y a un besoin urgent de politiques qui assurent une transition juste et équitable vers un avenir durable. L’érosion de la confiance et de l’équité dans le processus de négociation de cette COP a rendu les progrès futurs encore plus critiques.
Pour l’avenir, le mouvement syndical mondial appelle à une concentration renouvelée sur la transition juste au niveau international. Nous augmenterons notre travail pour donner la priorité à l’action climatique qui soutient l’emploi et les moyens de subsistance des travailleurs, les pays en développement dans la construction d’économies résilientes et neutres en carbone et de la justice sociale. Nous exhorterons les gouvernements et les employeurs à faire de même.
Propos recueillis par Stéphane Gravier