Grande consommatrice d’énergies fossiles, l’Italie a des prix de l’électricité parmi les plus élevés d’Europe. La crise de 2021 a donc frappé la péninsule de plein fouet. Pour la coalition de droite et d’extrême-droite au pouvoir, faire baisser les prix constitue un enjeu majeur. Pour y parvenir, elle se tourne pour l’instant vers l’Union européenne, mais également vers l’Afrique.

Le 28 septembre 2003, il y a de cela presque vingt ans, le réseau électrique italien s’effondrait, plongeant le pays dans le chaos : arrêt des trains, des métros, des aéroports, extinction des feux de circulation, blocage des ascenseurs… En cause, la défaillance d’une ligne électrique… en Suisse. Depuis plusieurs décennies, l’Italie est en effet importateur net d’électricité. Ces dernières années, le volume de ces importations représente 13 à 14 % de la consommation nationale.

Un réseau électrique morcelé

La dépendance électrique italienne s’explique à la fois par la structuration des systèmes énergétiques au XXe siècle et par la libéralisation imposée par Bruxelles. Contrairement à la France et au Royaume-Uni, l’Italie ne nationalise pas l’électricité au lendemain de la 2nd Guerre mondiale mais bien plus tard, en 1963. Entre temps, c’est le secteur privé qui continue à construire un réseau morcelé, alimenté par de nombreux sites de production : le pays compte près de 6 700 centrales thermiques au fioul ou au gaz, plus de 4 600 centrales hydroélectriques et près de 3 000 centrales à biomasse. Pour répondre au fort développement économique des années 1960, l’Italie a lancé un programme nucléaire qui sera abandonné par référendum en 1987, après l’accident de Tchernobyl (1). Surtout, elle a fortement augmenté ses importations. Engagée en 1999, la libéralisation va pérenniser le déficit électrique, le courant acheté en France ou en Suisse étant souvent moins cher que la production thermique locale.

Cette dépendance aux achats d’électricité produite à l’étranger se double d’une seconde, aux énergies fossiles. Jusque dans les années 1990, le fioul dominait la production électrique. A partir des années 2000, le gaz s’impose en substitution au pétrole. Fin 2017, le gouvernement adopte une Stratégie énergétique nationale (SEN) qui fixe un objectif de 55 % d’énergies renouvelables électriques à l’horizon 2030 et, pour le reste, mise largement sur les centrales au gaz. En 2019, ces dernières assurent la moitié de la production nationale tandis que l’hydraulique représente 17 %, l’éolien et le photovoltaïque 15 % et la biomasse 6 %. « Dans notre pays, le développement des énergies renouvelables est le seul moyen de s’affranchir des combustibles fossiles » estime Letterio Oceano, chef du département international de la Filctem-CGIL (2).

Explosion de la facture énergétique

Avec la flambée du gaz naturel en Bourse en 2021, la facture énergétique italienne explose. L’Italie ne dispose pas d’une régulation tarifaire comparable à celle de la France, mais d’un système d’acheteur unique. Entreprise détenue par le ministère de l’Économie et des Finances, l’Acquisition d’Unico (AU) fait office de centrale d’achat : elle lance des appels d’offres auprès des producteurs privés puis revend le courant aux consommateurs du « marché protégé », c’est-à-dire aux particulier et aux entreprises qui n’ont pas voulu du « marché libre ». Malgré ce dispositif, le kilowattheure électrique facturé aux ménages passe de 21 centimes en décembre 2020 à 31 centimes en juin 2022. Si l’on ajoute le gaz, la note s’élève à 2 558 euros par ménage en moyenne pour 2022, soit 1 200 euros de plus qu’avant la crise.

Comme l’ont fait la plupart des États membres, l’Italie baisse la fiscalité sur l’énergie dès l’automne 2021. A partir de janvier 2022, les bénéfices exceptionnels des producteurs d’énergie renouvelable sont taxés pour financer les aides aux particuliers et aux entreprises. En moins d’un an et demi, Rome dépense près de 93 milliards d’euros pour limiter la hausse des factures ; c’est le troisième montant le plus élevé de l’Union européenne après l’Allemagne et le Royaume-Uni.

L’extrême-droite au pouvoir ménage Bruxelles

Le 25 septembre 2022, après plusieurs années d’instabilité politique, les élections parlementaires donnent la victoire à une coalition formée par deux partis de droite (Forza Italia et Noi moderati) et deux partis d’extrême-droite (la Lega et Fratelli d’Italia). Au sein de cette alliance, le grand gagnant est Fratelli d’Italia, le seul parti à n’avoir pas participé aux précédentes coalitions de gouvernement. Sa dirigeante Giorgia Meloni accède à la présidence du Conseil des ministres.

Le 25 octobre, son discours d’investiture accorde une place importante à la crise de l’énergie, dont les coûts sont « insoutenables pour de nombreuses entreprises […] et pour des millions de familles ». Initialement eurosceptique, Meloni doit néanmoins rassurer les marchés financiers, l’Italie étant le deuxième pays le plus endetté de l’Union européenne après la Grèce. Elle plaide pour une solution européenne, craignant même que des mesures nationales « sapent le marché intérieur et la compétitivité de nos entreprises ». La dirigeante d’extrême-droite se dit par ailleurs convaincue que l’Italie « peut sortir de cette crise plus forte et plus autonome qu’avant ». Pour y parvenir, elle veut mettre en place un nouveau « plan Mattei » entre son pays et l’Afrique.

Ce projet fait référence à Enrico Mattei (1906-1962), personnage clé de la politique énergétique italienne au XXe siècle. Commercial puis industriel, Mattei adhère au Parti national fasciste de Mussolini en 1931 mais rejoint la Résistance après l’Armistice italien de 1943. A la fin de la guerre, il prend la tête de l’entreprise pétrolière Agip, qui deviendra l’ENI (Ente Nazionale Idrocarburi). Pour exister face aux grandes compagnies américaines ou européennes, Mattei négocie avec les pays producteurs d’Afrique du Nord en leur concédant un partage relativement équitable de la rente pétrolière. Cette stratégie, qui n’a rien d’altruiste et qui obéit avant tout à des logiques marchandes, restera dans l’histoire sous le nom de « plan Mattei ».

Coopération ou néocolonialisme ?

Pour la cheffe du gouvernement actuel, la nouvelle stratégie africaine consiste à créer un « pont énergétique entre la Méditerranée et l’Europe ». En d’autres termes (moins communicants), à développer des alternatives au gaz russe et à délocaliser une partie de la production électrique en dehors du territoire européen. En décembre 2022, la Commission européenne valide (et finance) la construction d’une ligne électrique reliant la Tunisie et la Sicile. En parallèle, l’Italie lance des appels aux investisseurs pour renforcer ses capacités d’accueil du gaz naturel liquéfié. Le 22 janvier 2023, Giorgia Meloni effectue sa première visite bilatérale à l’étranger ; elle atterrit à Alger avec la volonté de conclure des accords énergétiques avec le pouvoir en place, tandis que son vice-Premier ministre fait de même en Égypte.

L’ambition italienne rappelle fortement celle de l’Espagne et du Portugal : développement des énergies renouvelables, des interconnexions, partenariats avec l’Afrique du Nord… tout ceci dans le but de devenir un « hub » énergétique européen (3). Mais y aura-t-il de la place pour tout le monde ? Dirigeant de la FLAEI-CISL (4), Antonio Losetti veut y croire. « Il faut une vraie coopération entre tous les pays européens du bassin méditerranéen pour travailler intelligemment avec l’Afrique du Nord. C’est indispensable tant pour leur développement que pour la sécurité énergétique de l’Europe ». Un point de vue partagé par la CGIL : « À condition de poursuivre dans la voie de la coopération internationale et dans l’intégration européenne, l’Italie dispose de toutes les conditions nécessaires pour devenir le hub des énergies vertes » confirme Letterio Oceano.

Mais cette logique coopérative n’est pas celle des grands investisseurs privés, qui n’ont aucun scrupule à mettre les Etats en concurrence et qui voient les pays du Sud comme de fournisseurs de ressources à bas prix. Quant au gouvernement Meloni, il entend à la fois satisfaire le patronat italien en lui offrant de nouveaux marchés et négocier avec les gouvernements africains la maîtrise des flux migratoires. Dans ces conditions très éloignées des aspirations syndicales, on peut douter que les peuples d’Afrique du Nord ou les classes populaires italiennes aient réellement à y gagner.

Aurélien Bernier

(1) Abandon du nucléaire confirmé par un second référendum en 2011.

(2) Fédération des travailleurs de la chimie, du textile, de l’énergie, de l’industrie manufacturière.

(3) Lire Energies Syndicales n°218 – février 2023.

(4) Fédération des travailleurs des compagnies d’électricité italiennes.