En dépit des tensions internationales croissantes et de difficultés industrielles imprévues, la construction du réacteur expérimental de fusion nucléaire se poursuit à Saint-Paul-les-Durance, dans le cadre maintenu d’une coopération entre les principales nations scientifiques du monde.

ITER, acronyme d’International Thermonuclear Experimental Reactor (réacteur thermonucléaire expérimental international), est un double défi, scientifique et politique.

Scientifique, parce qu’il s’agit de démontrer la possibilité de produire de l’énergie en maîtrisant la réaction de fusion nucléaire. Contrairement à la réaction de fission à l’œuvre dans les réacteurs du parc actuel qui implique la scission d’atomes lourds, c’est la fusion de deux atomes légers qui dégage de l’énergie dans ces réactions thermonucléaires, que l’on sait déclencher dans les bombes H mais pas maîtriser pour un usage civil.

Politique, parce que ce projet lancé en 1989 à la fin de la guerre froide à l’initiative de Mikhaïl Gorbatchev (l’URSS était alors le pays le plus avancé en matière de recherche sur la fusion) implique une vaste coopération internationale entre puissances de plus en plus ouvertement rivales, voire en conflit. 

En latin, iter signifie aussi « le chemin ». Lequel s’avère difficile et tortueux, puisque le programme a pris du retard. En novembre dernier, la date d’obtention du premier plasma (un état de la matière propre aux températures extrêmement élevées, dans lequel se déclenche la fusion) a été reportée de 2025 à 2030. La découverte de microfissures dans les boucliers thermiques entourant le futur réacteur, qui va peut-être nécessiter de reprendre entièrement certains travaux, risque de causer de nouveaux retards.

Une enclave internationale employant 90 nationalités

Et pourtant, en dépit de toutes ces difficultés, le gigantesque chantier de Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône) avance. Un nouveau directeur général, succédant à Bernard Bigot, décédé en mai 2022, a été désigné à l’unanimité par le conseil d’ITER en la personne de Pietro Barabaschi, jusque-là responsable de la contribution européenne à ITER. L’Union apporte la moitié du financement, l’autre moitié provenant des six autres états membres d’ITER (Chine, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Japon, Russie). Deux directeurs généraux adjoints, chinois et japonais, ont également été nommés.

En février, une bobine poloïdale de 9 mètres de diamètre et 200 tonnes fabriquée à Saint-Pétersbourg est arrivée sur le chantier, preuve que la guerre entre Russie et Ukraine n’a pas entravé la participation russe au projet. Sur le plan juridique, le site d’ITER, qui s’étend sur 180 hectares (à peine moins que la principauté de Monaco), est une enclave internationale, sur laquelle travaillent quelques 6 000 personnes de 90 nationalités.

Le bâtiment qui accueillera le réacteur de fusion est achevé, et la construction de la machine suit son cours. Une salle de contrôle provisoire a été mise en service l’an passé. Un gigantesque bâtiment, dont les travaux d’infrastructure sont achevés à 40 %, destiné à abriter l’injecteur de neutres est en train de sortir de terre. « Résumé simplement, un injecteur de neutres est un accélérateur d’ions. La vitesse des particules, c’est-à-dire l’énergie cinétique qu’elles peuvent transmettre, est proportionnelle à la tension utilisée pour les accélérer » explique Hans Decamps, ingénieur responsable de l’alimentation du système d’injections de neutres. Ce dernier servira à la fois à suivre l’état du plasma et à le produire en chauffant la matière à une température de 150 millions de degrés (soit dix fois celle régnant à l’intérieur du Soleil). Pour ce faire, l’injecteur de neutres devra être alimenté à 1 million de volts pendant des durées de l’ordre de l’heure « ce qui repousse les limites de l’ingénierie électrique » comme le précise Hans Decamps.

On le croit sans peine : aucune installation industrielle n’a jamais utilisé de tels voltages, comparables à ceux de la foudre (mais l’éclair ne dure que quelques millisecondes) : une illustration de plus du caractère gigantesque et hors-norme des défis scientifiques et techniques qu’affronte aujourd’hui ITER.

Nicolas Chevassus