État fondateur des communautés européennes, le Luxembourg doit son excellente santé économique à ses aciéries et, surtout, à sa fiscalité très favorable aux détenteurs de capitaux. Important, le Grand-Duché dépend pour son énergie tout autant de l’Allemagne que de ses autres partenaires du Benelux.
Comté puis duché, le Luxembourg traverse le Moyen Âge en passant de main en main à la suite de ventes, de mariages, d’héritages… Annexé à la France peu après la Révolution de 1789, il intègre le royaume des Pays-Bas suite à la défaite de Waterloo en 1815. Quinze ans plus tard, lorsqu’éclate la guerre belgo-néerlandaise (1830-1833), il est rattaché à la Belgique. Le Luxembourg est alors l’un des territoires les plus pauvres d’Europe, mais pour des raisons stratégiques, il est convoité à la fois par l’Allemagne de Bismarck et la France de Napoléon III. Pour mettre fin aux prétentions des deux États, le Grand-Duché de Luxembourg est déclaré indépendant et neutre en 1867.
Émergence d’un géant de l’acier
L’électrification débute à cette époque avec de petites centrales au charbon gérées par les municipalités, dont le combustible est presque exclusivement importé d’Allemagne. En 1840, du minerai de fer était découvert dans le sol luxembourgeois. Il est exploité grâce à des investissements allemands, qui transforment ce petit pays en puissance industrielle. Des activités sidérurgiques se développent et se regroupent au sein des aciéries réunies de Burbach, Eich, Dudelange (l’ARBED). Le gaz émis par les hauts fourneaux est converti en électricité.
Lors de la 1ère Guerre mondiale, le Luxembourg est envahi par l’Allemagne. Après l’Armistice, le marché européen de l’acier s’effondre. Le Grand-Duché se tourne alors, avec succès, vers le commerce international. En 1927, plusieurs aciéries signent une convention qui crée la Société coopérative de transport d’énergie électrique (SOTEL). Son objectif est d’organiser des échanges privés d’électricité entre usines. En parallèle, la loi confie la distribution aux autres consommateurs à la Compagnie grand-ducale d’électricité du Luxembourg (CEGEDEL), créée en 1928 par l’État et plusieurs investisseurs privés. Quelques petites centrales hydroélectriques sont également construites.
En mai 1940, le Reich occupe à nouveau le territoire, mais le gouvernement s’exile en 1940, ce qui place l’autorité luxembourgeoise dans le camp des Alliés. Dès sa libération en septembre 1944, le Luxembourg s’engage dans l’accord Benelux de coopération avec la Belgique et les Pays-Bas. Puis, un peu plus tard, dans la construction européenne. En 1952, il héberge le siège de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
Produire de l’énergie… pour les États voisins
Dans les années 1950, la reconstruction et l’afflux de capitaux américains dopent l’économie. Goodyear, DuPont ou Monsanto s’implantent au Grand-Duché, qui développe en parallèle un puissant secteur financier. L’adhésion à la CECA lui permet d’exporter son acier sans droits de douane dans l’Europe des Six. Les systèmes énergétiques se modernisent. Le chantier du premier grand barrage du pays est lancé en 1957 à Esch-sur-Sûre. Mais les dirigeants luxembourgeois visent davantage l’intégration à une échelle régionale que l’autonomie. En 1959, un autre projet voit le jour : la centrale hydro-électrique de pompage-turbinage de Vianden, au nord-est, tout près de la frontière allemande. Conçue en partenariat avec le Land de Rhénanie-Palatinat, elle appartient à parts égales (40,3 %) à l’État luxembourgeois et à l’énergéticien allemand RWE et approvisionne le pays voisin. Plusieurs fois agrandie, elle affiche depuis 2014 une puissance de presque 1,3 gigawatt.
En 1973, le Grand-Duché et RWE élaborent un projet de centrale nucléaire sur la commune de Remerschen, dans le sud du pays. Mais six ans plus tard, en l’absence de majorité au Parlement, il est abandonné. La même année, la loi du 27 novembre autorise la création d’une société anonyme pour l’approvisionnement en gaz naturel, avec une participation de l’État à hauteur de 5 millions de francs. La firme Société de Transport de Gaz, à capitaux publics et privés, est fondée en 1974.
Après le tournant libéral des années 1980 et 1990, les activités sidérurgiques se concentrent. L’ARBED fusionne en 2002 avec le Français Usinor et l’Espagnol Aceralia, et devient Arcelor. Associée à Engie, elle fonde la société Twinerg S.A. pour construire la première centrale au gaz naturel du pays, à Esch-sur-Alzette. D’une puissance de 385 mégawatts, elle produit du courant qui est exporté en Belgique par Engie, actionnaire majoritaire (à 65 %). Bien que privée, l’installation a bénéficié d’un financement à hauteur de 80 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement pour un coût total de 150 millions. Mais faute de rentabilité suffisante, les propriétaires décideront dès 2016 de la fermer et de la démolir, après seulement 14 années de fonctionnement.
Un paradis pour investisseurs
Dans le secteur de la finance, le Luxembourg se spécialise dans l’accueil de fonds d’investissements et de sièges sociaux d’entreprises multinationales. Des conditions fiscales rêvées, qui ont été détaillées par la presse en 2014 lors des Luxembourg Leaks (« fuites luxembourgeoises »), permettent à de nombreuses firmes d’échapper à l’impôt. Le territoire abrite 55 000 sociétés offshore détenant 6 500 milliards d’actifs, dont 90 % appartiennent à des étrangers, comme les grandes familles françaises Arnaud, Hermès ou Mulliez. Parmi les entreprises épinglées lors des « Lux Leaks », on trouve l’énergéticien français Engie. Grâce à d’astucieux montages fiscaux, ce dernier aurait économisé 120 millions d’euros, 99 % des bénéfices de ses filiales luxembourgeoises ayant échappé à l’impôt pendant dix ans.
En dépit de pratiques d’évitement qui n’ont pas cessé depuis les révélations de 2014 (au contraire), et alors que la finance représente environ la moitié de son PIB, le Grand-Duché n’est pas classé par l’Union européenne comme paradis fiscal. Son économie florissante a généré une croissance de la population de presque 70 % en un demi-siècle, favorisant l’immigration : près de la moitié des résidents sont de nationalité étrangère. Le Luxembourg attire également plus de 200 000 travailleurs frontaliers (pour un marché de l’emploi de 445 000 postes) qui y paient leur impôt sur le revenu mais dont les droits sociaux sont à la charge du pays de résidence.
Sa fiscalité sur l’énergie extrêmement basse lui permet de pratiquer des prix de l’électricité, du gaz et des carburants automobiles bien inférieurs à ceux des pays voisins. Pour en profiter, de nombreux camions font le plein au Luxembourg, de même que les Allemands, les Belges et les Français qui viennent y travailler chaque jour, portant la consommation de produits pétroliers à des sommets. Résultat : en termes d’émissions de CO2 par personne, le Luxembourg affiche le plus mauvais score européen, avec plus du double de la moyenne française. Pointé du doigt, le gouvernement a mis tardivement en place une taxe carbone, à hauteur de 40 euros la tonne en 2025. Mais l’essence et le diesel restent encore 10 % moins coûteux qu’en Allemagne ou en France.
L’aubaine de la finance « verte »
Important la quasi-totalité de son énergie (95 % du mix global ; 86 % de son électricité), le Luxembourg compte sur le marché libéralisé pour garantir ses approvisionnements. En 2009, CEGEDEL et SOTEL fusionnaient et donnaient naissance à un nouveau groupe baptisé Enovos International, détenu par l’État (28 %), la ville de Luxembourg (15,61 %), des banques publiques (26,2 %) et le fonds d’investissement français Ardian (25,48 %). En son sein, la société anonyme Creos opère les réseaux électriques et gaziers tandis que Enovos Luxembourg produit de l’électricité et vend du courant et du gaz. À partir de 2016, Enovos International change de nom pour devenir Encevo et deux ans plus tard, la China Southern Power Grid rachète la participation minoritaire d’Ardian.
Le marché de gros de l’électricité est totalement intégré au marché allemand tandis que celui du gaz est commun avec la Belgique et les Pays-Bas, sans droits d’entrée ou de sortie. Pour les deux énergies, le marché de détail est largement dominé par Enovos et ArcelorMittal Energy – fournisseur alternatif créé par le géant de l’acier. Une concentration qui ne gêne pas Bruxelles : compte-tenu de sa petite taille (avant-dernier État membre, après Malte, par sa superficie), le Luxembourg bénéficie d’une dérogation en matière de concurrence.
L’Union européenne est davantage préoccupée par le retard qu’affiche le Grand-Duché en matière d’énergies renouvelables. Alors que son objectif pour 2020 était de 11 % du mix énergétique, il n’atteignait pas la moitié de ce chiffre en 2017. Pour compenser ce décalage, le Luxembourg a conclu avec la Lituanie un accord de « transfert statistique », un dispositif permis par la directive européenne RED sur les énergies renouvelables. En échange de 10 millions d’euros, l’État balte lui a transféré un surplus de 700 GWh d’énergie renouvelable, non pas physiquement mais comptablement.
Pour accélérer la « transition », le gouvernement mise sur le déploiement des véhicules électriques (de luxe), le pilotage de la recharge via les « smart grids » et la tarification dynamique du gaz et de l’électricité. Il se veut aussi exemplaire et innovant… en matière de finance « verte ». Fondé en 2016, le Luxembourg Green Exchange revendique une valeur cumulée de 63 milliards d’euros d’obligations. On y trouve pêle-mêle des coupons Mercedes Benz, Volkswagen, Volvo, Air Liquide, Bayer, Siemens, Iberdrola, E.ON, RWE, Ørsted … et de nombreuses banques françaises, allemandes ou américaines.
Aurélien Bernier